Négociateur vs forcené

Publié le par Fait-diversifier

surete-nationale-marocaine-(2011-06-08)

La débrouille est un art où les policiers excellent. Souvent, ils sont confrontés à des situations de crise qui peuvent dégénérer, et dont la gestion en appelle, non seulement au sang-froid, mais aussi à la prise de décisions évolutives, dans le feu de l’action.

Illustration par une affaire survenue cet été à Taza qui met en scène d’un côté, un forcené armé d’un fusil,  qui a pris en otage deux femmes, et de l’autre, le chef de la PJ de la ville, lequel, sans autres armes que son flegme et sa persuasion, a su démêler la situation sans trop de dégâts, en s’improvisant négociateur. 

Le 07 juillet 2011, vers 11h00 du matin, le chef du Service Régional de la Police Judiciaire de Taza, le commissaire de police principal Abdelilah Essaïd, assurant l’intérim du chef de la Sûreté Régionale parti en vacances, est le premier avisé par la Salle de trafic qu’un individu séquestre deux femmes à l’intérieur d’un atelier de couture, extrait de sa demeure sis au quartier Rachad de la ville. La même information fait état qu’il a tiré sur des passants sur la voie publique à l’aide d’un fusil, blessant trois d’entre eux, lesquels ont été transportées aux urgences de l’hôpital pour recevoir les soins nécessaires.

Le chef du SPPJ cesse alors toute affaire courante pour se transporter immédiatement sur les lieux de l’incident, accompagné de tous les gradés et éléments que compte le service. En cours de route, il prend soin d’informer les autorités judiciaires et la Direction Générale. Là-étant, il collecte les informations disponibles sur le forcené et ses actes en interrogeant riverains et badauds.

Il s’agit du nommé Driss D., ex-soldat, estropié de guerre  ayant perdu et l’œil et la main gauches à Laâyoune en 1988 suite à une manipulation imprudente d’explosifs et réformé depuis  1989. Il est marié à Najia  G.,  41 ans, et père de trois enfants : Samia née en 1994, Bilal en 1996 et Omayma en 2008. Selon les voisins, ces derniers se trouveraient encore avec lui à l’intérieur de la même maison. Ce matin-là, il était entré dans une colère noire contre une couturière qui loue un local extrait de sa maison, après un litige qui traîne dans les tribunaux depuis belle lurette concernant le contrat de  location. Justement, l’une des passantes sur laquelle avait-il tiré le premier coup de semonce et blessé gravement aux pieds n’est autre que la mère de la locataire en question, venue à la rescousse après que sa fille lui ait téléphoné de l’intérieur pour lui dire qu’elle et son aide y sont séquestrées. Les deux autres individus blessés sont des jeunes gens du quartier qui, curieux de cette première détonation, ont accourus pour se tenir debout non loin de la blessée et la regarder comme on visionne un film d’action… avant d’être entrainés en plein dedans.

Nouer le contact

Driss D. est visible depuis le rez-de-chaussée de sa maison. Sa tête et le canon d’un fusil apparaissent au travers de la fenêtre grillagée donnant sur la rue piétonne. Par intermittence, quand il voit un passant en vue regarder en sa direction, il arme son fusil, l’exhibe, la pointe sur lui et tire. Les détonations provoquent la ruée de la foule. Mais - étrange est l’humanité des fois!-  La curiosité l’emportant toujours, les  badauds refluent à leur position, provoquant davantage l’ire du forcené, qui recharge son arme et tire encore.

Il semblait que la présence des curieux le mettait dans tous ses états, le rendant fou-furieux. La première mesure à prendre coulait de source : il fallait sécuriser l’endroit, en éloigner les badauds et ainsi éviter qu’il n’y ait d’autres blessés, voire des tués. Un dispositif est vite monté aux alentours du lieu, avec blocage des issues et bifurcation de la circulation en amont, par un cordon de sécurité étanche maintenant à bonne distance les curieux à bonne distance du champ de  tir du tireur, mais aussi tenant compte de la sécurité des policiers y prenant part. Les tirs cessèrent aussitôt, et le calme revint rapidement.

Pendant ce temps là, le Pacha de la ville était arrivé, escorté de toutes les autorités publiques que compte la ville. Les ambulanciers de la Protection civile étaient là aussi, les correspondants de presse  et même les cameramen de plusieurs chaînes. Les conciliabules sur la meilleure attitude à prendre face à ce danger public allèrent bon train. Au final, tous les décideurs étaient tombés d’accords qu’intervenir en force étaient dangereux aussi bien pour les policiers que pour les séquestrées et les membres de la famille du tireur fou, et qu’il valait mieux négocier avec lui, ou du moins, dans un premier temps, tenter de le faire, et décider après, selon l’évolution de la situation.  Très bonne idée, comme est très bonne l’idée des souris de mettre une clochette  au collier du chat ! Mais qui donc se chargera de l’exécuter ? Le commissaire bien évidemment ! Anatole France ne disait-il pas que pour prendre une bonne décision, il faudrait être en nombre impair, et jamais plus de deux !

Le souci du commissaire était en premier d’établir la communication avec le preneur d’otages. Un temps non négligeable s’écoula, qu’il supposa utile au forcené pour se calmer et revenir à raison, avant que le policier, prenant son courage à deux mains, ne se montrât non loin de la fenêtre du forcené, arborant sa radio portative pour décliner à distance sa qualité d’agent d’autorité. Il lui dit à haute voix qu’il n’est pas armé, et qu’il veut juste parlementer avec lui.

Ce furent les plus longues secondes de la vie du commissaire principal. En ces moments-là, on se rappelle Allah, et on pressent presque à ses côtés sa femme et ses enfants… les êtres les plus chers qui soient. 

La perception d’une justice à deux vitesses  

L’ex-soldat, à la vue du policier, retira le canon de son fusil de la fenêtre. Il voulait bien négocier, lui aussi, interpréta le geste le chef SRPJ, soulagé. Il fit les quelques pas pour venir jusqu’à lui, à sa fenêtre, et vit un homme très tendu et extrêmement nerveux. Il suait, avait de la bave aux commissures des lèvres et son œil unique, congestionné de sang, tournoyait sans cesse dans son orbite à l’affût du moindre mouvement impromptu. Et il tenait toujours son fusil à la main.

Le commissaire le laissa parler en premier, pour évacuer son stress intense, voire son trauma. Il dit  que si d’aventure une descente le ciblait, alors il n’hésiterait pas à tirer avec son arme sur les policiers intervenants, qu’il liquiderait sans pitié les deux couturières emprisonnées, qu’il passera ensuite à son épouse et ses trois enfants, puis qu’il montera sur le toit et commettra un massacre de la foule, et qu’enfin il se suicidera en se jetant d’en haut. Il termina sa tirade en disant que sa maison est bourrée d’explosifs et piégée.

Cela suintait l’exagération, mais le commissaire le prit au sérieux, et ne laissa pas montrer son incrédulité. Il lui conseilla de se calmer, et de ne plus attenter à la vie de quiconque pour ne pas aggraver son cas plus qu’il ne l’était déjà. Il lui donna sa parole qu’aucune attaque-surprise ne le ciblera tant qu’il parlementerait avec lui, qu’il est inutile de rester ainsi sur ses gardes, et que s’il est là, c’est seulement pour l’écouter, et s’il le veut bien, il serait son messager et portera ses doléances aux responsables, qui feront le nécessaire pour les satisfaire au plus vite.  

Quand le commissaire sentit le fil de la confiance se nouer, il lui demanda : « Et maintenant, peux-tu me dire ce que tu réclames ? ». Sa réponse fut simple et sans appel : recouvrer la propriété absolue de son local et en chasser ces intrus de locataires, sinon, il ne bougera pas de là. 

Il s’expliqua longuement : son local fait l’objet d’un litige entre lui et le père de l’une des couturières  séquestrées. Il le lui a loué en 2008, pour deux échéances d’une année chacune, mais  après l’écoulement de cette période, il l’a « trahi » et refusé d’en sortir et le lui restituer. En représailles,  il avait coupé l’électricité. Le locataire l’a alors esté en justice et gagné rapidement ce procès, le contraignant à rétablir le courant. Lui-même a introduit une requête en référé auprès du Tribunal de Première Instance à Taza pour l’évacuation de son local, conformément au contrat établi, mais contrairement à son antagoniste qui a eu le bénéfice d’une justice rapide, une année se passa  avant que ladite juridiction ne l’informe de son incompétence matérielle, vu que le litige est d’ordre commercial et relèverait donc du tribunal de commerce à Fès.

Il a dû voyager à cette ville pour introduire une requête par-devant cette juridiction, et dix mois plus tard, toujours rien. Plusieurs  fois, il est monté à Fès s’enquérir de l’issue de son procès, et recevait constamment la même réponse : « En cours. En cours. » Pendant ce temps là, il souffrait chaque jour de voir la couturière entrer et sortir de son local comme chez elle, alors que c’était lui qui avait passé toute une jeunesse  aux fins fonds  du Sahara, y laissant un œil et un bras, économisant dirham après dirham, pour construire, brique après brique, cette maison et son garage. Devant ce qu’il pressentit comme une injustice, il décida de se faire justice à soi-même, et ce matin-là, excédé, il avait cadenassé la porte de l’atelier, quand sa locataire et son apprenti étaient dedans, s’est refugié dans sa maison, et sorti son fusil, une vielle arme bricolée par ses soins il y a quatorze ans  du temps où il était à l’armée, et tiré des balles réelles de sa fenêtre pour dissuader tout sauveur d’approcher. Il conclut en disant que rien n’y changera à moins de voir à jamais les deux couturières sortir de là et leur matériel, et sans retour.

Un forcené sous contrôle

Le commissaire prit congé et alla retrouver les responsables réunis au détour d’une ruelle. Il leur porta les revendications de l’ex-soldat. Plusieurs discussions animées plus loin,  et après avis des autorités judiciaires consultées sur ce cas, le commissaire retourna lui déclarer, esquissant un sourire qu’il voulait le plus authentique possible, qu’il a eu gain de cause et que le procureur vient de donner ses instructions pour acquiescer à a demande et vider le local de ses locataires et son mobilier. Le séquestreur, ravi de l’entendre, remit alors au commissaire deux clés des deux cadenas, et sous son œil vigilant, le vit ouvrir l’atelier.

Le commissaire trouva là, deux femmes livides de peur, terrorisées à l’idée que c’est leur ravisseur qui a ouvert le portail pour les achever à coups de feu, les mêmes dont elles ont entendu tout à l’heure les détonations. Le commissaire les conforta du mieux qu’il put, leur disant qu’il est policier et qu’il est là pour les libérer, mais qu’il fallait patienter un peu. Si elles sortaient maintenant, le forcené, si sa haine reprend le dessus, pourrait bien leur tirer dessus comme des lapines. Il appela ses assistants, leur ordonnant de vider le commerce de toutes ses machines à coudre, des caftans et des mannequins exposés en vitrine. Les assistants s’exécutèrent, et bientôt un amoncellement de bric-à-brac se trouva dans le garage. Un véhicule utilitaire fut réquisitionné pour le transporter.  

Pendant que les fonctionnaires de police s’échinaient à embarquer les bagages à bord, sous le regard satisfait de l’ex-soldat, le commissaire fit passer les deux jeunes femmes de l’autre côté du véhicule, utilisé en bouclier, et les confia à la charge d’autres policiers au tournant d’une rue. Maintenant, elles étaient saines et sauves. Le véhicule, chargé, prit la direction du commissariat.

 Après que le local ait été entièrement  vidé et les otages libérées, le commissaire retourna  auprès de l’ex-soldat. Il restait encore à le désarmer, et bien que le commissaire fût à peu près sûr que, content de recouvrer son bien, il n’allait pas attenter à sa vie, encore moins à celles des siens, aucune éventualité n’était à écarter avec un personnage aussi résolu, et il fallait continuer cette négociation à terme. Maintenant que sa revendication était satisfaite en apparence, le commissaire lui demanda de tenir sa promesse en retour, et de restituer son arme et se livrer.

« Pas encore !», répondit-il. Il restait encore à enlever la bâche du fronton et un encadrement en fer forgé qui ornait le portail d’entrée. Le commissaire ordonna à ses policiers de les enlever. Ce qui fût fait rapidement, avec l’aide de pompiers volontaires qui leur prêtèrent main-forte.

Ce n’est qu’alors que l’ex-soldat remit  au policier, au travers de la fenêtre six cartouches vives, calibre 12 mm, de couleur rouge, mais sans l’arme. Le commissaire insista, tout en s’évertuant de rester calme. L’ex-soldat lui rajouta encore deux autres cartouches, disant que ce sont là les dernières qui lui restaient. Visiblement, il demeurait aux aguets.

Le commissaire lui dit, non sans humour, que non, il restait encore une cartouche dans le chargeur du fusil.  Le soldat hésitait. En remettant sa dernière cartouche, il se désarmait carrément. Le commissaire lui dit qu’il valait mieux pour lui d’être interpellé avec une arme déchargée plutôt qu’avec une de chargée, car dans ce deuxième cas, il faisait montre de sa bonne foi, et recevrait en contrepartie la clémence des juges. L’argument porta, et l’ex-soldat s’empressa de décharger son fusil et remettre sa dernière cartouche au policier, au travers de la fenêtre.

Et maintenant le tour au fusil. Cette fois, la raison était facile à invoquer et très convaincante du reste. Un fusil déchargé était aussi utile que des lunettes de soleil  à un aveugle. Seulement la difficulté est que la fenêtre étant grillagée avec du fer forgé aux écartements des barreaux réduits, il ne pouvait passer au travers, et qu’il fallait convaincre l’ex-soldat d’ouvrir la porte de sa demeure pour le passer et… ce n’était pas une mince affaire, suspicieux qu’il était.

L e policier essaya néanmoins de le convaincre. Il lui jura que personne ne l’attaquera s’il ouvrait sa porte, et lui en donna sa parole d’honneur. Il était impossible, lui dit-il, qu’il restât retranché dans sa maison indéfiniment, avec sa petite famille, et que tôt ou tard, il devait en sortir, et le plus tôt serait le mieux. Il lui conseilla vivement de croire en la justice ; lente certes, mais équitable, et qui finira tôt ou tard de rétablir son droit légitime à son local, car la loi était manifestement de son côté.

Dénouement

Visiblement, les bonnes paroles du commissaire eurent leur effet escompté sur l’ex-soldat, et il lui demanda de l’accompagner au poste. « D’accord ! », rétorqua-t-il, « Mais à une condition » : « Que je sois transporté dans ta voiture de service, et qu’aucun autre responsable à part toi ne m’accompagne ! ». Le bon père de famille qu’il était devait tenir à ce qu’il ne soit pas malmené devant ses enfants. «Accordé ! » lui promit le commissaire qui appela un policier pour faire venir sa voiture de service au pas-de-porte. Il finit par ouvrir la porte et remit le fusil au chef du SRPJ qui prit soin de vérifier, sur les lieux même, qu’il était effectivement déchargé. Il lui ouvrit lui-même la portière et s’engouffra avec lui dedans. Elle démarra en trombe, en direction du commissariat, sous les hourras et acclamations de la foule.

Plus tard une perquisition a été effectuée à l’intérieur de la maison. Un matériel de bricolage ayant servi à transformer des cartouches de chasse en le remplissant de plomb dur a été saisi chez lui. Sa femme et ses enfants étaient assez secoués, mais sains et saufs.

Le forcené avait été traduit en justice, deux jours après. En prison, il aura tout le temps de méditer cet adage juridique universel : « Nul ne peut se faire justice à soi-même ».

 

Publié dans Prise d'otages

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article